Le rideau s’est levé hier sur la 75e édition du Festival international du film de Cannes (du 17 au 28 mai) avec en ouverture «Coupez!», une comédie réalisée par Michel Hazanavicius.
Les écrans de La Croisette se sont allumés pour dérouler, au fil des jours, les films de la compétition officielle. 21 opus, représentant 13 pays de par le monde, sont en lice pour rafler la Palme d’or, qui sera décernée par le jury présidé par l’acteur français Vincent Lindon.
Détails sur le cru de la compétition officielle
Encore une fois, la compétition officielle de la 75e édition du festival de Cannes s’avère marquée par la présence de réalisateurs habitués de La Croisette et non des moindres, puisque cinq parmi eux ont déjà raflé la Palme d’or.
Commençons par les Belges Jean-Pierre et Luc Dardenne, car doublement palmés («Rosetto» en 1999 et «L’enfant» en 2005), qui sont de retour avec «Tori et Lokita». C’est l’histoire de deux adolescents venus seuls d’Afrique qui opposent leur invincible amitié aux difficiles conditions de leur exil.
De son côté, le Suédois Ruben Östlund, «palmé» en 2017 avec «The Square», brigue une deuxième Palme d’or avec «Sans filtre», filmant les rapports de force entre deux mannequins influenceurs en croisière et l’équipage du yacht à la suite d’une tempête.
Le Japonais Kore-Eda Hirokazu, ayant remporté la récompense suprême en 2018 pour «Une affaire de famille», revient, cette année, avec «Broker», mettant en scène deux hommes en quête d’une famille pour un bébé abandonné.
Enfin, le Roumain Cristian Mungiu, récompensé en 2007, pour «4 mois, 3 semaines, 2 jours», concourt en compétition officielle avec «R.M.N.», un film social traitant de l’effet des politiques européennes et des relations entre les communautés dans un village de Transylvanie.
Autres habitués et figures connus du festival : le Canadien, David Cronenberg, présent à Cannes en 1996 avec «Crash», devenu film culte, prix du jury, est de retour avec «Les crimes du futur», un film «Gore» d’anticipation sur l’évolution humaine.
L’Américain, James Graty, est pour la cinquième fois en compétition avec «Armageddon Time», un film très personnel sur la force de la famille et la poursuite générationnelle du rêve américain». Le Russe Kirill Serebrennikov concourt avec «La femme de Tchaikovski». Et ce, malgré l’annonce du festival, dans la foulée de la guerre en Ukraine, qu’il n’inviterait pas de délégation officielle russe. Mais le réalisateur, empêché à deux reprises d’être présent à Cannes pour défendre ses films «Leto» en 2018 et «La fièvre de Petrov» en 2021, sélectionnés en compétition, a quitté la Russie pour s’installer à Berlin.
«La femme de Tchaikovski» se focalise sur le personnage de Antonina Milukova, la femme du grand compositeur qui lui voue un amour obsessionnel. Mais violemment rejetée et consummée par ses sentiments, elle accepte de tout endurer pour demeurer auprès de lui.
Le Sud-Coréen, Park Chan-Wook, a marqué, lui, l’édition 2004 de Cannes avec «Old boy» ayant remporté le Grand prix et celle de 2009 avec «Thiest, ceci est mon sang», récompensé par le prix du jury. De retour avec «Decision to leave», il déroule une enquête sur la mort suspecte d’un homme, survenue au sommet d’une montagne. L’enquêteur suspecte la femme du défunt envers laquelle il éprouve une certaine attirance. Grand habitué de La Croisette, le réalisateur français Arnaud Desplechin est pour la 6e fois en lice avec «Frère et sœur», chronique d’une famille ébranlée par un conflit profond.
L’une des figures du nouveau cinéma polonais des années 60, Jerzy Skolimwski, primé à deux reprises, à Cannes, en obtenant le grand prix du jury pour «Le cri du sorcier» (1978) et le prix du scénario pour «Travail au noir» (1982), concourt avec «Hi-Han», le monde vu à travers les yeux d’un âne.
Premiers pas
Aux côtés des «Dieux routiers», de jeunes réalisateurs font leurs premiers pas en compétition, dont le réalisateur iranien Saeed Roustayi, auteur de trois courts métrages et de deux longs métrages «Life and a day» (2016) et «La loi de Téhéran» (2019), détenteur de plusieurs récompenses. Il est pour la première fois en compétition officielle avec son 3e opus «Leila’s brothers» (les frères de Leïla) se focalisant sur le personnage de Leïla ayant dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Touchée par une crise économique sans précèdent, afin de sortir de cette situation, Leïla élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque encore un dernier soutien financier, leur père leur fait une promesse importante…
Le jeune réalisateur belge Lukas Dhont, dont le premier long métrage, sélectionné dans la section «Un certain regard» en 2018, a raflé «La Caméra d’or» et la «Queer Palm», est pour la première fois en compétition avec «Close». C’est l’histoire de deux ados amis séparés par un événement impensable. Tous deux cherchent le pardon et la réconciliation pour essayer de rétablir leur amitié.
Et c’est, également, le premier pas du réalisateur danois d’origine iranienne Ali Abbasi, dans la compétition avec «Holy Spider» (Les Nuits de Mashhad). Le film se focalise sur une journaliste de Téhéran qui plonge dans l’Iran de 2001, dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle s’aperçoit rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.
Tarik Saleh, Suédois d’origine égyptienne, auteur-réalisateur de «Le Caire confidentiel» (2017), qui a été primé au festival de Sundance, est pour la première fois en lice avec «Boy from Heaven» où Adam, simple fils de pêcheur, se retrouve, à son insu, au cœur d’une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuses et politiques après la mort du grand imam de la prestigieuse université d’Al-Azhar.
Quant au réalisateur italien Mario Martone, il rend hommage dans «Nostalgie» à Naples, sa ville natale. Une adaptation du roman de l’écrivain italien Ermano Rea.
Trois femmes seulement
Après une certaine parité, lors de la dernière édition, cette année, seules trois réalisatrices sont en compétition : la Française Valéria Bruni Tedeschi avec les «Amandiers», quand, dans les années 80, trois jeunes filles vivaient, à pleine vitesse, dans la célèbre école de théâtre «Les Amandiers» créée par Patrice Chéreau : la vie, la passion, le jeu, l’amour, mais aussi leurs premières grandes tragédies.
L’Américaine Claire Denis concourt, elle, avec «Stars at Noon», un film d’attente, d’ambiance à la lisière du polar diplomatique», selon Thierry Frémaux, délégué général du festival. C’est l’histoire d’une journaliste américaine en détresse, bloquée en pleine période électorale au Nicaragua d’aujourd’hui, qui va se retrouver dans un monde des plus troubles. De son côté, la réalisatrice française Léonor Serraille est en lice avec «Un petit frère», mettant en scène l’histoire d’une famille issue de l’immigration de la fin des années 80 à nos jours, dans la banlieue parisienne.
Enfin, Kelly Reichardt, cinéaste américaine indépendante, est, également, en compétition pour la première fois avec «Showing up», un film sur le quotidien d’un artiste et sa source d’inspiration.
Ainsi, le déséquilibre (3 films de femmes sur 21) entre cinéastes hommes et femmes n’est pas près d’être redressé, alors que la Palme d’or décernée en 2021 à Julia Ducournau pour «Titane» annonçait un air de changement manifeste. Mais quand il n’existe pas de parité dans la production, il est évident que celle-ci ne peut être reflétée dans la sélection de «Cannes» et autres festivals.
Ainsi, mis à part le cinéma des femmes, d’autres cinémas sont sous-représentés ou complètement absents dans la compétition officielle de cette 75e édition : les cinémas arabes et africains plutôt représentés par les réalisateurs de la diaspora en Europe. Ce qui pose encore une fois les sempiternelles questions des moyens, des financements et de la qualité.
Les cinémas européens, américains et asiatiques sont sensiblement représentés, lors de cette édition, à travers des opus qui évoquent, entre drame et thriller, les thèmes de la famille, l’exil, les crises sociale et économique, le radicalisme, les conflits en tous genres, l’intolérance, le jeu, l’art et la passion. Bref, «Les choses de la vie».